Pendant le dernier Salon du Livre Jeunesse, qui a eu lieu en février 2015 à Longueuil, j’ai eu la belle occasion de rencontrer l’auteure prolifique et bienaimée des enfants et de leurs parents – toujours souriante et aimable, Roxane Turcotte ! Elle a gentiment accepté de répondre à mes questions concernant son métier d’auteure jeunesse.
Parlez-moi de votre parcours littéraire. Vous étiez enseignante pour les adultes et vous écrivez maintenant des livres pour enfants. Pourquoi ce changement ?
D’abord, j’ai toujours aimé les albums jeunesse. J’ai étudié en histoire de l’art et je suis très sensible à l’art pictural et à l’esthétique en général. La beauté, c’est quelque chose que je vois. Je suis à l’affut de la beauté dans la vie de tous les jours. Les albums jeunesse sont pour moi des œuvres d’art quand ils sont bien réussis. Parallèlement à ça, je suis devenue enseignante pour adultes. J’aimais mon métier. À l’époque, j’avais des étudiants russes et chinois qui avaient beaucoup de difficultés à comprendre les groupes syntaxiques, à faire des pauses aux bons endroits et à bien prononcer. Un jour, j’ai eu l’idée de leur proposer de lire des textes d’albums qui sont souvent des textes courts, conçus pour être lus aux enfants. Je leur ai conseillé de travailler les textes à haute voix et puis d’aller les lire à des enfants de maternelles, dans les écoles avoisinantes. Comme mes étudiants avaient été scolarisés, ils ont cru que lire un album serait facile ! « Ah, croyez-vous ? » Leur ai-je dit. Ils ont commencé à lire, et moi, je les corrigeais. Ils ont vu que, finalement, il y a beaucoup de travail derrière une lecture de qualité à haute voix. Ils se sont ainsi pris au jeu, et une fois par semaine nous allions dans les maternelles lire des albums aux enfants. Tout a commencé comme ça.
Quelle belle idée ! Autant pour les étudiants que pour les enfants, pour les initier à la lecture…
Oui, ça faisait comme partie du cours et ça rendait aussi service aux enseignants, parce qu’une lecture, une visite, c’était sympathique. Ensuite, je ai proposé à mes apprenants d’inviter les enfants des autres étudiants de notre centre pour adultes lors d’une soirée lecture (on avait environ 1 500 adultes qui étudiaient au centre, la plupart avaient des enfants). Ils ont accepté. Et nous avons eu du succès ! Ils ont théâtralisé un peu, et se sont même costumés. Nous faisions ces soirées deux fois par année, et nous avions une cinquantaine de parents avec leurs enfants. Et puis, un jour, j’ai voulu écrire un texte pour la Commission scolaire, sans rémunération, dans l’objectif de l’offrir ensuite à des enfants et parents de quartiers défavorisés. J’ai donc écrit un texte, Une histoire de robe (2002). Je l’ai présenté à la commission scolaire, qui l’a approuvé et a payé pour l’impression du livre. Plus tard, je suis allée avec une conseillère pédagogique, dans les quartiers défavorisés, pour faire bénévolement la lecture et l’animation en présence des parents. Au début, il y avait, je me rappelle, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, deux parents et deux enfants. Mais plus tard, cette activité est devenue populaire. Chaque enfant partait avec un livre.
Après ce premier texte, j’ai eu le goût d’en faire un deuxième. Donc j’ai continué à écrire. J’ai publié un premier roman Le vol de la corneille (2006), et après ça, un deuxième roman, un troisième roman…j’ai une dizaine de romans maintenant. C’est bien, mais ce n’est pas ce qui me plait le plus. Alors, dernièrement, je suis revenue aux albums. J’ai publié l’album Ça suffit, Monsieur Ogre ! (2014) aux éditions de la Bagnole. En ce moment, je n’écris que des textes pour les albums.
Pour en venir à Ça suffit, Monsieur Ogre ! pourquoi avoir choisi un ogre comme personnage principal dans votre album ?
Je voulais traiter de l’intimidation d’une façon fantaisiste et divertissante pour les enfants. Dans cette histoire, l’ogre veut manger des animaux qui sont les amis de Guillemette, une petite fée. Il les pourchasse et joue au trouble-fête. Je voulais encourager les enfants à réfléchir avec les personnages, sur les manières de traiter un problème comme celui-là, sans pour autant utiliser la force (ici, sa baguette magique). Pour empêcher l’ogre, Guillemette va chercher à développer de l’empathie chez celui qui fait peur à tout le monde. C’est difficile de se mettre à la place des autres. Mais comme elle ne veut pas non plus laisser tomber le méchant, elle va l’accompagner dans son changement de comportement dans le but de l’aider à adopter un autre mode de vie qui le rendra heureux.
Qu’est-ce que ça représente dans la vie d’un enfant ? Face à un comportement intimidant, l’enfant peut choisir de se laisser faire, de pleurer, ou de répondre par la violence. Guillemette nous montre ici que ce comportement vient peut-être d’un problème, dont il faut parler. L’ogre, ce personnage méchant, a des difficultés, lui aussi. La meilleure solution face à ce comportement, c’est donc la discussion. Guillemette ne se débarrasse pas du problème, mais utilise la parole et une stratégie pour aller chercher une solution, tout comme le fait une éducatrice qui intervient auprès des enfants.
Et maintenant, votre bel album Marion et la vie qui bat. Quelle était la source de votre inspiration ?
Cet album est né d’une rencontre en France. Pendant mes vacances là-bas, j’ai rencontré une dame sympathique. C ‘était la châtelaine du village. Enfant, vous deviez vous sentir comme une petite princesse, ce devait être merveilleux ! » ai-je avancé. Mais elle m’a expliqué qu’au contraire, elle s’était beaucoup ennuyée dans son enfance, parce qu’elle ne pouvait pas se salir, elle ne pouvait pas faire ce qu’elle voulait, ni aller à l’école comme d’autres enfants. Elle m’a aussi confié que ce qu’elle aimait, c’était la ferme, alors qu’elle lui était interdite. Cette dame m’a donc montré le côté de la vie de château auquel on ne pense pas.
En rentrant au Québec, j’ai beaucoup réfléchi à cette histoire et j’ai décidé d’en créer une similaire qui parlerait de la vie d’un enfant qui a tout et, en même temps, n’a pas d’essentiel pour être heureux : la liberté de vivre une vie pleine et ordinaire qui lui est interdite. Je voulais aussi montrer qu’il est important d’écouter son enfant quand il insiste sur quelque chose et essayer de comprendre son désir. Parfois les parents peuvent se tromper, et derrière, ce qui leur semble être un caprice, peut se cacher quelque chose de très important. Alors, cette histoire donne un exemple à l’enfant pour persévérer quand il y a quelque chose qui lui tient à cœur et chercher à ouvrir un dialogue avec les adultes. Je crois que cet album change des histoires de princesses qui vivent dans un château.
Pour terminer, je vais vous demander quels sont vos projets pour l’avenir ?
Je travaille des textes d’albums. J’en ai envoyé plusieurs récemment à des maisons d’édition et j’attends donc leurs réponses. Cet été, je vais participer pour la première fois à deux salons du livre en France et au Chapiteau du Livre à St-Cyr-sur-Loire. On m’a invitée pour animer la lecture auprès des enfants de 4-5 ans. J’en suis heureuse! Au mois d’aout, je vais aussi participer, avec mes livres, à la Forêt des Livres. Au Québec, on m’a demandé d’être dans le Conseil d’administration de l’Association des Auteurs des Laurentides, et j’ai accepté. Il y a une bonne équipe, et je pense qu’ensemble, on peut rendre la littérature en général, et la littérature jeunesse en particulier, plus vivantes dans les Laurentides. Mon autre projet, c’est éditer, un jour, un album que je vais distribuer dans des secteurs non traditionnels en France, c’est-à-dire, pas par les librairies indépendantes, mais en grandes surfaces. En France, les supermarchés ont de très bons rayons littérature. Alors, c’est là que les gens achètent des livres. Il peut donc y avoir de la qualité dans une grande surface, mais je n’ai pas plus d’information. Cet été je pourrais me renseigner sur la distribution, le prix, les critères de l’ouvrage …c’est à voir.
Merci beaucoup pour votre temps, pour cette conversation bien intéressante… Vous êtes la première personne que j’interviewe
Merci à vous, cela m’a fait plaisir ! Je souhaite à votre blogue un beau succès. Merci beaucoup pour cette belle initiative. On ne parlera jamais assez de la littérature, et spécialement de la littérature jeunesse, que les médias ne couvrent pas assez. Je trouve vraiment bien que des blogues littéraires fleurissent sur les réseaux sociaux, c’est formidable !
13 février 2015, Longueuil, Qc